Dans Les Échos, Michel Rességuier explique comment le contexte de l’inflation impacte les entreprises et leur transformation

Les entreprises sont prises en tenaille entre la hausse du coût de leurs achats et le durcissement à venir des négociations salariales d’une part, et l’acceptabilité de la hausse de leurs propres prix de vente d’autre part. Ce double enjeu les force à opérer des choix stratégiques dont les conséquences impacteront durablement leur compétitivité, voire dans certains cas, leur survie.

Entre pandémie et retour de la guerre en Europe, la succession des crises depuis deux ans n’en finit pas de susciter des ruptures. Pour les entreprises, il en est une qui occupe tout particulièrement les équipes depuis quelques mois : c’est le retour de l’inflation dont les dernières actualités laissent présager qu’elle sera probablement plus durable que nous l’anticipions il y a peu. En effet, la concomitance entre l’obstruction des chaînes d’approvisionnement et les tensions sur l’offre de matières premières accroît brutalement les coûts de production et pose la question de la répercussion de ces pressions sur les prix de vente. La résolution de cette équation est loin d’être simple. Pire, le renforcement des pressions inflationnistes pourrait bien accélérer les recompositions sectorielles, faisant des gagnants et des perdants.

Pourquoi un tel bouleversement ?

Commençons par analyser comment l’inflation va impacter les entreprises. La première conséquence est celle d’un renchérissement des achats. Bien qu’impactant prioritairement l’amont des chaînes de valeur, celui-ci finit tôt ou tard par se répercuter sur l’aval et donc sur le consommateur final. étant aussi souvent un salarié, celui-ci va chercher à compenser le recul de son pouvoir d’achat dans le cadre de ses négociations salariales, sujet dont les syndicats se sont assez logiquement emparés.

Un premier enjeu pour les entreprises repose dans la réponse apportée à cette demande. L’attente des salariés est légitime dans la limite de ce qui ne détruit pas leur emploi à terme. La théorie économique nous enseigne qu’un salaire doit être au moins égal à la productivité marginale du travail, faute de quoi celui-ci devient un coût net pour l’entreprise. Or il se trouve que les multiples transformations auxquelles les entreprises ont dû faire face ces dernières années et décennies ont déplacé, parfois radicalement, les sources de productivité des entreprises, rendant parfois économiquement inappropriées les grilles salariales actuelles. Plutôt que d’accorder des augmentations généralisées qui relèvent d’une certaine paresse managériale, les entreprises ont tout intérêt à accroître les rémunérations de façon différenciée, au regard de l’évolution réelle des écarts de productivité et de la réalité économique du moment. Il en va de leur compétitivité à long terme.

Un autre enjeu, tout aussi stratégique pour les entreprises, consiste à répercuter ces pressions inflationnistes sur leurs propres prix de vente, sauf à accepter une érosion des marges. La question se pose donc ici de l’acceptation de ces hausses par les clients. Une question d’autant plus impérieuse que les mutations en cours des chaînes de valeur transforment peu à peu certains produits ou services en quasi-commodités, tandis que de multiples innovations génèrent un fort risque de substitution. Résultat : une détérioration de l’élasticité prix d’un grand nombre de segments de marché.

Une nécessaire transformation de la proposition de valeur des entreprises

Dans ce contexte, le danger est grand que les clients profitent des hausses de prix imposées par leurs fournisseurs pour réévaluer leurs politiques d’approvisionnement ou, dans un univers plus retail, leurs choix de consommation. En conséquence, le contexte inflationniste actuel accroît le risque de décrochage pour un grand nombre d’entreprises et les incite à accélérer la transformation de leur proposition de valeur. L’objectif ? Répondre au mieux aux mutations de la demande qui leur est adressée, afin de se doter d’un « pricing power » et donc de la capacité enviable d’imposer à leurs clients des hausses de prix sans impact sur les volumes de vente.

Les entreprises face à leur avenir

Cette ligne de crête entre hausses des coûts et acceptabilité des hausses de prix de vente met ainsi les entreprises devant des choix structurants pour leur avenir. De ces décisions découleront les conditions de leur compétitivité à venir et la vigueur de leur rapport de force sur leur marché, voire, dans certains cas, leur survie. Il s’agit donc autant d’un risque que d’une opportunité.

Or trop peu d’équipes connaissent la vraie valeur de ce qu’elles fournissent à leurs clients. La grande majorité des PME et ETI porte l’exigence interne sur l’amélioration permanente d’un business model établi, ce qui constitue déjà un défi permanent dans un univers de libre-concurrence. Mais rares sont celles qui osent analyser factuellement et méthodiquement l’évolution de leur utilité sociétale, dont les facteurs sont multiples, pour remettre en cause leur raison d’être et ajuster significativement leurs choix stratégiques. “Oser” est le bon terme, car ce questionnement néanmoins vital, bouscule les compétences, ce qui est légitimement dérangeant pour les Hommes à tous les échelons de la hiérarchie. Ce courage est néanmoins nécessaire pour assurer la pérennité des activités et des emplois, ultime responsabilité du dirigeant au regard de la loi.