Le marché du textile, malmené depuis des années, et maintenant confronté à une crise du pouvoir d’achat et à des arbitrages incontournables, a des arguments à faire valoir pour renaître.

Tout arrive. Les enseignes de l’habillement du Panel Retail Int., pour l’Alliance du commerce, ont connu en avril une hausse de leur chiffre d’affaires : + 1,1%, en magasins, par rapport à avril 2019. Alors, certes, avril 2022 bénéficiait d’un « facteur calendaire favorable », avec un jour ouvré supplémentaire par rapport à 2019. Certes, cette performance ne rattrape pas le retard depuis le début de l’année : les ventes reculent de 10,3 % en CAD vs 2019. Mais il n’empêche… Dans le détail, les marchés de « l’outlet », les magasins d’usine et ceux de destockage, sont les grands gagnants avec une hausse de 12,7 % de leur activité en avril. « L’attrait marqué des consommateurs pour l’outlet reflète les préoccupations de pouvoir d’achat », reconnaît l’Alliance du commerce. D’ailleurs, comment, dans un contexte d’inflation, réagiront-ils vis-à-vis de leurs achats de mode ? En attendant, la baisse du trafic en magasins reste importante : – 13,5 % en avril, comparé à 2019. « Ces chiffres confirment la tendance, observée depuis la crise sanitaire, d’une moindre fréquentation des commerces physiques compensée par une amélioration du panier moyen et du taux de transformation », indique l’organisation.

Bien valoriser cette approche

De quoi ainsi poser la question du rôle des magasins, et des territoires de marques à explorer pour chacun des acteurs. Plus que jamais, la quête de sens semble primordiale. Sans Complexe, dans la lingerie, le démontre : « Nos discours axés sur le body positive (l’acceptation et l’appréciation de tous les types de corps, NDLR) et la RSE, historiquement ancrés au coeur de notre positionnement s’avèrent porteurs, note Corinne Duquin-Andrier, directrice marketing et digital de Sans Complexe (groupe Wolf Lingerie). Voilà maintenant onze années que nous progressons sans interruption. » Sans Complexe, spécialise du bonnet C et plus, est la troisième marque sur ce créneau et la quatrième sur le total lingerie. Ce succès s’explique aussi par la qualité de l’offre : « Le meilleur soutien-gorge, c’est celui que l’on n’a pas envie d’enlever le soir », plaide Corinne Duquin-Andrier. Autre facteur important pour demain : l’origine de la conception.

Le pari du made in France, sur lequel LSA a beaucoup écrit, via Fashion Cube ou 1083, entre autres, est un axe de différenciation majeur. « L’enjeu consiste à valoriser la démarche de production en France. C’est notamment vrai pour les enseignes de type fast fashion, dont l’image est malmenée depuis quelques années. La condition du succès sera de parvenir à marketer cette démarche, car les prix de vente seront supérieurs. Elle doit demeurer cohérente avec le positionnement de la marque, faute de quoi elle prendrait le risque de brouiller son image et de perdre son consommateur », pointe Éric Foucault, managing director du cabinet Prospheres, spécialisé dans le retournement d’entreprises. Encore une fois, donc, la sincérité d’action doit être au coeur des projets.

Jean-Noël Caussil – LSA, Le magazine de la grande consommation

Annexe

Éric Foucault pour le magazine LSA

1/ La mode made in France peut-elle être un business pérenne en dehors du luxe? 1083 à Rupt-sur-Moselle, comme Fashion Cube à Neuville-en-Ferrain, font le pari que oui, avec des produits vendus aux alentours de 40-50 euros. Est-ce viable ?

Pour des enseignes de mode françaises, produire en France présente potentiellement plusieurs avantages.

Produire en France permet de réduire le lead time, c’est-à-dire le délai entre la commande et la livraison des magasins, et être ainsi plus réactif en optimisant le potentiel de ventes pour limiter les ruptures tout en réduisant les risques d’invendus et les stocks. Cela permet d’améliorer le besoin en fonds de roulement des enseignes en réglant les fournisseurs après avoir vendu les produits.

Produire en France permet également de réduire l’empreinte environnementale de la fabrication et du transport des produits, tout en contribuant à la revitalisation économique des territoires.

Enfin, un produit fabriqué en France bénéficie le plus souvent d’une image de qualité supérieure à celle d’un produit fabriqué hors de l’hexagone et de l’union européenne. Au-delà de l’image, la qualité supposée supérieure devra être justifiée auprès du consommateur.

2/ Si oui, à quelles conditions ?

L’enjeu pour une enseigne consiste à valoriser la démarche de production en France, en premier lieu, auprès de sa clientèle, à commencer par les enseignes de type fast fashion dont l’image est malmenée depuis quelques années. La condition du succès sera donc de parvenir à marketer cette démarche, c’est-à-dire à l’expliquer et à la valoriser auprès de sa clientèle.

Le projet contribue également à améliorer l’image de l’enseigne auprès des pouvoirs publics, des talents que l’entreprise cherche à attirer, et d’une manière générale, des partenaires de l’entreprise.

Enfin, en interne, les projets de ce type permettent de mobiliser les équipes de l’entreprise en faveur d’un projet qui offre du sens pour l’ensemble des collaborateurs.

Cependant, plusieurs aspects sont à prendre en considération.

  • En général, les enseignes conçoivent des collections, les achètent auprès de leurs fournisseurs situés le plus souvent en Turquie, en Asie ou en Afrique puis les commercialisent dans leur réseau de distribution, magasin ou internet, en France et en Europe. C’est le modèle de la fast fashion. Or, fabriquer en France constitue une évolution de ce modèle économique historique. Le risque pour certaines enseignes, est donc de s’improviser industriel du textile et de s’éloigner ainsi de leur vocation et de leur savoir-faire.

  • Les prix de vente des tee-shirts ou des jeans fabriqués en France seront supérieurs aux prix des mêmes articles fabriqués à l’étranger. La démarche doit demeurer cohérente avec le positionnement de la marque et de l’enseigne, faute de quoi, l’enseigne prendrait le risque de brouiller son image et de perdre son consommateur.

  • Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les projets industriels nécessitent la mobilisation d’importantes ressources : investissements d’équipements et compétences spécifiques. Une enseigne doit donc avoir la capacité à mener de front le projet industriel et les autres projets qu’elle conduit par ailleurs, dans un environnement concurrentiel et une conjoncture souvent complexes. Lorsqu’une enseigne n’a historiquement jamais fabriqué de vêtements, elle ne saurait prendre le risque de réduire ses ambitions de projets de digitalisation, de performance du réseau de magasins ou de performance de marque pour mener à bien un projet industriel.

3/ Quel rôle pour les pouvoirs publics pour, d’une manière générale, soutenir cette réindustrialisation? Doivent-ils intervenir ? Si oui, comment ? Une fiscalité différente pour favoriser le made in France ?

Les pouvoirs publics soutiennent ces initiatives de différentes manières : subventions, mise à disposition de terrains ou de bâtiments avec des conditions de location particulièrement avantageuses, en particulier dans les zones de revitalisation. Mais ce soutien ne peut constituer qu’un “coup de pouce” au démarrage. La pérennité de cette production en France requiert, comme toute pérennité d’activité, qu’elle trouve son autosuffisance économique.

Éric Foucault